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Vivre dans la dignité : 5ème anniversaire de Kairos Palestine

bethlehem-wallDu 2 au 4 décembre 2014, plus de 250 personnes de Palestine et de nombreux autres pays1 se sont réunies à Bethléem pour commémorer le 5ème anniversaire de “Un moment de vérité : une parole de foi, d’espérance et d’amour du cœur de la souffrance palestinienne,” connu sous l’appellation de Kairos Palestine. Ce
document,
2 élaboré par un groupe largement œcuménique de dirigeants chrétiens, proposait une parole d’espérance dans une situation sans espoir. Il affirmait un engagement fort des chrétiens palestiniens à prendre par à une résistance créative pour mettre fin à l’occupation israélienne, une réalité que nous qualifions de nouveau de “péché contre Dieu et contre l’humanité”.

Le document s’est prolongé dans un mouvement d’action mondial. Des gens placés dans beaucoup d’autres contextes, inspirés par Kairos Palestine, ont lié leurs luttes locales pour la justice à la lutte palestinienne pour la liberté et la dignité pour toutes les populations de Palestine et d’Israël. Nous remercions Dieu pour les nombreuses Églises qui ont reçu, étudié et commenté le document. Nous remercions Dieu aussi pour les nombreuses modalités d’accompagnement de Kairos Palestine par tant de mouvements Kairos de par le monde, recherchant la justice chacun dans son propre contexte, associant leur lutte à celle du peuple palestinien.

Notre rassemblement a reconnu que beaucoup des buts et des objectifs du document Kairos Palestine n’ont pas été atteints. Ces cinq années ont apporté beaucoup de souffrance en Palestine, en Israël et dans l’ensemble du Moyen Orient. La politique d’oppression menée par Israël et la poursuite de l’occupation du territoire palestinien contribuent directement à cette souffrance. Le travail de Kairos Palestine et du mouvement qu’il a suscité n’est pas encore terminé.

ANALYSE DU CONTEXTE

L’une des forces de Kairos Palestine était son analyse claire de la situation à laquelle faisaient face les Palestiniens. Le contexte a évolué pendant les cinq dernières années, surtout pour le pire.

Au plan de la région, les cinq dernières années ont vu survenir les évènements connus dans leur ensemble comme le “Printemps arabe”. Beaucoup d’Arabes sont passés d’un grand optimisme pour la société civile au bord du désespoir. Ces évènements ont entraîné une poussée d’extrémismes à connotation religieuse dans tout le Moyen Orient. Des millions de gens ont connu des souffrances et des déplacements sans précédents.

Ces phénomènes régionaux ont eu des effets négatifs sur le Printemps Arabe et ont déterminé le contexte dans lequel on peut considérer le conflit israélo-palestinien. Des analystes géopolitiques ont fait valoir que les problèmes régionaux faisaient passer au second plan la nécessité de mettre fin à l’occupation israélienne. Nous restons convaincus que la fin du conflit israélo-palestinien est une étape essentielle à franchir pour apaiser le Moyen Orient. C’est pourquoi nous insistons auprès des décideurs politiques du monde pour qu’ils prennent d’urgence des dispositions pour mettre leurs politiques nationales en conformité avec le droit international afin d’établir une paix juste.

Les cinq dernières années ont vu un renforcement de l’occupation israélienne. En 2013 on a vu autoriser la construction du plus grand nombre d’habitations de colons sur des terres palestiniennes depuis 1967. Au-delà de la violence structurelle et de l’oppression de l’occupation israélienne, nous avons vu un très fort accroissement de la violence des colons, y compris des atteintes à la vie humaine et des tentatives d’occupation de lieux saints. À des manifestations de racisme par des citoyens juifs d’Israël et d’extrémisme à connotation religieuse dans les rues s’est ajoutée une proposition de loi pour qu’Israël soit considéré comme un État exclusivement juif. Avec la poursuite d’une politique de colonisation, ces tendances au sein de la société israélienne font qu’un État de Palestine indépendant à côté de l’État d’Israël est presqu’impossible à imaginer.

Plus récemment, nous avons assisté à des menaces sur le statu quo historique concernant le Haram al-Sharif (le site de la mosquée Al-Aqsa). Ces tensions particulières mettent en évidence les problèmes particuliers rencontrés à Jérusalem aujourd’hui. Au cours de cette conférence, nous avons aussi entendu le témoignage d’un chrétien de Gaza, nous rappelant que nos enfants ont connu trois guerres en cinq ans.

Même dans ces circonstances négatives, nous vivons en ce moment un moment Kairos où une action ciblée peut avoir des effets positifs. Le leadership des États-Unis n’est plus au centre du soi-disant processus de paix, preuve d’un changement dans le paysage politique international. Les leaders politiques palestiniens s’adressent maintenant aux Nations Unies et aux institutions qui en dépendent pour une solution politique et engagent des actions en justice pour mettre des limites à la culture d’impunité dans l’ensemble de la région. Nous voyons que beaucoup d’autres puissances – spécialement en Europe – s’expriment en faveur de la fin de l’occupation israélienne illégale et de la reconnaissance de l’État de Palestine. L’Union Européenne et certains parlements ont pris des mesures timides pour imposer un contrôle au commerce des produits des colonies israéliennes illégales. Nous leur demandons avec insistance d’intensifier leurs actions bien que nous craignions que leurs paroles ne suffisent pas et quelles viennent trop tard.

APPLIQUER L’ESPRIT DU KAIROS

En juin 2007, l’Appel d’Amman lançait un défi aux Églises : “Plus de paroles qui ne soient suivies d’actions. Le moment est venu d’agir.” Le conflit dont souffrent l’un comme l’autre Israël et la Palestine fait l’objet de beaucoup de paroles. Nous continuons à appeler l’Église mondiale à agir en témoignant d’une solidarité généreuse.

Les participants à cette conférence du 5ème anniversaire ont en conséquence affirmé l’importance de :

  1. Se mettre à l’écoute des voix de chrétiens palestiniens
  • Nous nous engageons à nouveau à nous mettre à l’écoute des voix chrétiennes palestiniennes, à les répercuter et à permettre à leur vision des réalités d’orienter notre communication et notre action dans nos propres contextes.
  • Avec des chrétiens palestiniens, nous nous engageons à être des militants de réconciliation et des agents d’espérance. “Nous ne perdons pas courage… Nous ne considérons pas ce que l’on peut voir, mais ce qui n’est pas visible ; parce que ce que l’on peut voir est temporaire, mais ce qui n’est pas visible est éternel” (2 Cor. 4, 16-18)
  • Nous nous engageons à accompagner les chrétiens palestiniens, en communion avec le Conseil Œcuménique des Églises, dans le Pèlerinage pour la Justice et la Paix.
  1. Poursuivre une recherche et une critique théologiques
  • Nous nous engageons à étudier attentivement les exposés théologiques des chrétiens palestiniens et à en dialoguer avec eux. La théologie contextuelle palestinienne devrait jouer un rôle déterminant dans la façon dont les chrétiens vivant dans d’autres contextes appréhendent le contexte palestinien et y réagissent.
  • Nous réaffirmons les fondements théologiques de Kairos Palestine, qui promeut une théologie de foi, d’espérance et d’amour. Cette théologie Kairos est une réaffirmation de vie et appelle chacun d’entre nous à une solidarité généreuse. Nous travaillerons à promouvoir la théologie Kairos pas simplement dans nos propres mondes, mais dans les institutions d’Églises comme les écoles et les séminaires.
  • Nous assumons la responsabilité des implications politiques des perspectives théologiques que nous avons reçues et nous nous engageons à développer des théologies alternatives qui affirment les droits de tous les êtres humains.
  • Nous recherchons des formes responsables d’engagement théologique et politique avec des Juifs, des Chrétiens, des Musulmans et tous les gens de bonne volonté qui militent pour une paix juste pour Israël et pour la Palestine.
  • Nous soutenons l’objectif du Forum Œcuménique Palestine Israël (PIEF) de contester les concepts théologiques et les interprétations de la Bible (dont ceux défendus par les sionistes chrétiens) qui légitimisent, encouragent ou acceptent l’occupation israélienne illégale.
  1. Participer activement à une résistance créative
  • Une résistance créative respecte et préserve la dignité humaine de toutes les personnes prises dans le système actuel d’oppression par la fermeté (sumud) de leur résistance à l’empire, ainsi que par des actes de refus et de désobéissance civile ou par d’autres actions de résistance non-violente.
  • Une résistance créative associe des luttes pour la justice dans de nombreux contextes à la lutte en Palestine.
  • Une résistance créative associe la littérature, la musique, le théâtre, la dance et les arts visuels aux expressions publiques de résistance.
  • Une résistance créative trouve des voies pour aider à garder vivante la mémoire de la Palestine dans le contexte actuel de la Palestine afin que l’histoire palestinienne reste profondément enracinée dans le territoire, avec la fermeté des racines de l’olivier.
  1. Poursuivre la promotion des pressions économiques
  • Des systèmes économiques soutiennent dans chacune de ses formes la poursuite d’occupation israélienne illégale du territoire palestinien.
  • Nous nous engageons à débusquer et critiquer les organismes touristiques qui donnent une image fausse de la situation en Israël et en Palestine tout en proposant des façons positive de promouvoir des modèles responsables de tourisme et de pèlerinage conformes à l’appel de Kairos “venez et voyez.”
  • Nous nous engageons à promouvoir tant dans nos Églises que dans nos sociétés l’appel Kairos qui fait écho aux demandes de la société civile palestiniennes, pour la mise en application du boycott, du désinvestissement et des sanctions comme moyens non-violents appropriés de résistance créative jusqu’à l’obtention de la fin de l’occupation israélienne illégale.
  1. Une vision inclusive d’une paix juste dans l’ensemble du Moyen Orient
  • Nous renouvellons l’opposition de Kairos Palestine à des systèmes politiques à références religieuses. En tentant de faire de l’État un État religieux, qu’il soit juif ou islamique, on l’étouffe, on l’enferme dans des limites étroites, et on le transforme en un État qui pratique la discrimination et l’exclusion, préférant un citoyen à un autre.
  • Avec les Patriarches et les chefs d’Églises, nous demandons q’Al-Qods/Jérusalem soit la cité sainte partagée par deux peuples et trois religions. Nous prenons au sérieux l’appel à prier pour la paix de Jérusalem.

Nous sommes pressés de toute manière, mais non pas écrasés,

désemparés mais non pas désespérés.” (2 Cor. 4, 8)

1 Les autres pays représentés comprenaient l’Argentine, le Brésil, le Canada, le Chili, la Colombie, l’Angleterre, l’Allemagne, la Finlande, la France, l’Inde, l’Irlande, L’Ile Maurice, la Norvège, les Pays Bas, les Philippines, l’Écosse, l’Afrique du Sud, la Corée du Sud, la Suède et les États-Unis entre autres.

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Pour la paix et contre la guerre

Discours du théologien allemand Eugen Drewermann à Berlin, le 13.12.2014, lors de la manifestation pour la paix et contre la guerre 

Mesdames et Messieurs, chères amies et chers amis de la paix,

Nous sommes rassemblés, en ces jours avant Noël, pour exprimer ce que chacun de nous ressent: nous voulons la paix, nous ne voulons pas la guerre!

En tant que théologien, j’aimerais rappeler à Monsieur Gauck [Joachim Gauck, le président de la République fédérale allemande] une chose importante : lorsqu’il exerçait encore son ministère de pasteur, il n’a pas expliqué à ses ouailles comment les anges dans les campagnes de Bethléem appelaient à soutenir la politique de paix de l’empereur romain Auguste. En fait, les anges promouvaient l’exact contraire de l’armement: « Si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre.»  Heureusement, dit Jésus dans son Sermon sur la montagne, j’ose nommer les hommes qui, dans ce monde, ont le courage de déposer les armes. Mais vous, vous pervertissez les valeurs chrétiennes que vous prétendez défendre : vous nous expliquez qu’être prêts à la guerre – dans le monde entier – est une question de responsabilité. Nous n’y sommes pas prêts, nous y sommes opposés!

C’est vrai: en tant qu’Etat le plus puissant économiquement en Europe, nous avons une responsabilité mondiale. Sous Madame Merkel, cette responsabilité a même grandi au point que nous siégeons maintenant à la troisième place des pays exportateurs d’armement. Et cela, la majorité des gens en Allemagne ne veut plus le tolérer – et NOUS, en tout cas pas! Lorsque Monsieur Sigmar Gabriel trouve que la vente de tanks à l’Arabie saoudite sous contrôle parlementaire pose problème, les glapissements et les hurlements à la mort de l’industrie de l’armement EADS, MBB, Heckler & Koch et de tous leurs semblables, viennent immédiatement freiner son ardeur. Depuis quand les affaires et les profits sont-ils plus importants que les vies humaines?

Oh oui, nous aurions des responsabilités! Au sein d’un monde dans lequel 50 millions d’être humains meurent de faim, nous aurions la responsabilité de mettre fin à la pénurie alimentaire, au manque d’eau potable, la responsabilité de limiter la surpopulation, de réduire la destruction de l’environnement, de faire enfin cesser la migration économique de millions d’êtres humains plongés dans la misère. Au lieu de quoi, nous voyons la Méditerranée se transformer en fosse commune, les migrants rejetés manu militari par Frontex. Payée à Berlin, siégeant à Varsovie, cette organisation militarisée protège les frontières méridionales de cet espace de prospérité économique qu’est le continent européen. Ce n’est pas de la responsabilité, Monsieur Gauck, c’est le contraire: un cynisme impitoyable qui regarde ailleurs.

Depuis 1989 nous aurions eu une chance merveilleuse que nous pourrions saisir aujourd’hui encore: à l’époque, après l’effondrement du Pacte de Varsovie, Gorbatchev déclarait à Bush père que l’OTAN pourrait elle aussi se dissoudre, démilitarisant ainsi tout le corridor qui s’étend de l’Oural à l’Atlantique. Imaginons un monde dans lequel nos prodigieux moyens devenus disponibles seraient enfin convertis en science et économie, en paix et bienveillance. Nous pourrions finalement nous consacrer à la recherche de solutions destinées à assumer les vraies tâches de l’humanité, plutôt qu’à la folie consistant à faire passer l’extension à l’Est de l’OTAN comme une politique de paix. Le meilleur moyen de contribuer à une politique de paix, c’est la sortie de l’OTAN!

L’OTAN n’a jamais été ce pourquoi elle aurait été fondée. Pendant 35 ans, on a expliqué aux Allemands qu’ils devaient fournir des soldats pour empêcher toute attaque contre nous et utiliser pour ce faire toutes les horreurs de l’armement. Pour une politique de paix, celle de la Balance Of Power, de l’équilibre de la terreur, nous avions besoin d’armes atomiques, d’armes bactériologiques, d’armes chimiques, de bombes au napalm. Tout ce qui contribue à détruire le droit international se trouvait et se trouve encore dans les arsenaux de l’OTAN. En 1989, normalement elle avait perdu sa raison d’être.

Mais du même coup elle a dévoilé le rôle qui a toujours été le sien: mondialiser les exigences hégémoniques des Etats-Unis d’Amérique, sans frein, sans frontière, pour imposer les intérêts du capitalisme.

Nous n’avons aucune raison de rester plus longtemps dans une alliance qui annonce ses agissements et ses intentions criminels aussi ouvertement qu’elle le fait ces temps. Voulons-nous vraiment nous faire dire par Monsieur Stoltenberg [Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN] que les Européens devraient augmenter leurs dépenses militaires à concurrence de 2% du produit national brut? Sous Adenauer, en 1964, nous avons promis que la République fédérale occidentale consacrerait 0,7% de son PIB à l’aide au développement. Pendant tout ce temps l’aide n’a jamais atteint que les 0,4%. Et nous avons encaissé vingt-cinq fois cette somme grâce aux intérêts sur la dette des pays « en voie de développement ».  Jamais les besoins du tiers monde n’ont été le véritable motif de cette sorte de politique. Mais maintenant, avec le quintuple, soit 2% du PIB consacrés à l’armement, c’est la fin et la perversion de la responsabilité mondiale. Monsieur Gauck, nous sommes contre la guerre parce que chaque guerre va à l’encontre de ce que pourrait signifier la responsabilité mondiale, et nous ne nous laissons pas convaincre de détourner les yeux, parce que nous regardons enfin ce qui se passe!

Oh oui, Poutine menacerait la paix mondiale. Les dépenses en armement de la Russie s’élèvent à peu près à 80 milliards de dollars. C’est incroyablement élevé. Mais en même temps, on accorde aux USA 500 milliards de dollars, plus les milliards nécessaires pour étendre dans le monde entier le programme d’espionnage de la NSA afin de contrôler l’humanité tout entière. Sans oublier les opérations secrètes de la CIA à peu près partout sur la terre. A tout cela, il faut encore ajouter les quelque 300 milliards que les pays membres de l’OTAN doivent verser. Tout compris, c’est plus que dix fois ce que la Russie dépense pour sa défense. Qui doit avoir peur de qui?

En 1989, on a promis à Gorbatchev que l’OTAN n’avancerait pas d’un centimètre vers l’Est. Le ministre des affaires étrangères de l’époque, Hans-Dietrich Genscher, a encore négocié la réunification de l’Allemagne sur la base du maintien des nouveaux Länder en zone démilitarisée. Pendant vingt ans, on a lutté à Neuruppin pour faire échouer les projets de la Bundeswehr d’y installer un « bombodrome » où elle voulait expérimenter des bombes. Mais pour le reste, le passage de l’OTAN est complet. Onze Etats se cramponnent comme une pieuvre à la frontière occidentale de la Russie. L’OTAN est en Géorgie, elle veut pénétrer en Ukraine, elle installe ses bases militaires au Kazakhstan, au Kirghizstan et en Ouzbékistan, elle revendique la souveraineté sur l’espace aérien de l’Asie centrale au-dessus de l’Afghanistan. Aujourd’hui, l’OTAN est partout où elle ne devrait pas être! Ce n’est pas une alliance défensive, c’est l’alliance la plus agressive que l’humanité ait jamais connue!

J’entends dire que nous devrions aider les Kurdes. Donc nous devons avoir des armes, donc nous avons besoin de 100 personnes qui forment des Kurdes à l’utilisation efficace de nos armes. Mais les Kurdes nous ont-ils jamais intéressés? Les défenseurs de Kobané appartiennent au PKK et sont de ce fait une organisation terroriste. Les Kurdes ont subi des bombardements aériens par les Britanniques pour la première fois en 1925, parce que des prospections géologiques avaient détecté du pétrole dans leur sol. Dix-sept millions de Kurdes, héritiers d’une culture millénaire, attendent le droit d’être un peuple. Mais ils n’en ont pas le droit car cela pourrait nuire aux intérêts de la Turquie, qui est membre de l’OTAN. C’est pourquoi ils n’ont jamais rien été d’autre qu’un rempart contre Saddam Hussein, contre Assad en Syrie. Ils ont dû marcher droit, comme les Américains voulaient qu’ils le fassent. L’autorisation de former leur propre Etat méritait notre soutien, mais absolument pas l’actuel massacre dans lequel ils sont plongés!

Toute la politique de défense est confrontée aujourd’hui à un problème qui n’a pas commencé avec le Baron von und zu Guttenberg [homme politique allemand, membre de l’Union chrétienne-sociale de Bavière (CSU), deux fois ministre dans la coalition d’Angela Merkel. Il a transformé, à peu de frais, comme il l’avait promis, l’armée de conscrits en une armée de métier, transformation nécessaire car de moins en moins de gens étaient d’accord de s’enrôler. Maintenant, Frau von der Leyen, l’ancienne ministre de la famille devenue ministre de la guerre, affronte la tâche qui lui a été confiée, soit d’introduire la Bundeswehr au cœur de la société. Je peux déjà vous l’annoncer: chez nous, elle n’y arrivera jamais!  Rendre l’image de la Bundeswehr plus conviviale est sans doute possible. On améliore la communication numérique, la nourriture des restaurants universitaires et des casernes, on instaure des congés le week-end ou autres mesures du genre.  Sauf que, Madame von der Leyen, la Bundeswehr n’est pas une entreprise parmi d’autres! Ce qu’on y apprend, c’est à tuer des êtres humains de la manière la plus efficace possible!

Et nous n’avalerons pas ces manipulations par petites bouchées, comme si c’était chose normale, à l’image de notre indifférence pour ce qui se passe dans les abattoirs, à la périphérie des grandes villes, lorsque nous achetons une saucisse. Nous nous intéressons à la manière dont vous prévoyez de produire de la sécurité! Sympathique et conviviale pour les familles. A Potsdam, on voit un papa confortablement installé, occupé à exécuter l’ordre de meurtre par drone pour une exécution extrajudiciaire à dix mille kilomètres de là. Et son petit garçon, assis sur ses genoux, apprend comment on pourra peut-être encore améliorer la chose dans dix ans. Si c’est ça l’avenir pour lequel nous éduquons et formons nos enfants, que pourrait signifier la responsabilité mondiale?

Nous refusons les attaques de drone que les Américains font voler après coordination préalable en Allemagne, à la base aérienne des United States Air Forces de Ramstein [http://www.rfi.fr/afrique/20130601-terrorisme-raids-drones-menes-etats-unis-afrique-depuis-le-territoire-allemand/]. Tout le monde en a connaissance, mais il est urgent et nécessaire de dénoncer, de supprimer ce système qui utilise abusivement une base allemande. Nous n’avons pas besoin d’armes qui tuent sans mettre nos propres soldats en danger. Nous avons besoin de la destruction des armes afin que plus personne ne soit mis en danger.

Oh oui: nous n’envahissons pas d’autres pays, affirme Obama en pensant à la Crimée et à l’Ukraine. Mais qui, je vous le demande, a pénétré depuis 1965 au Vietnam, puis en Irak, en Somalie? Qui a dévasté la Libye et la Syrie? Qui avait besoin d’envahir l’Irak une deuxième fois après avoir, entre les deux invasions, fait mourir plus d’un million de personnes avec l’embargo? Qui a aspergé d’agent orange la piste Ho-Chi-Minh au Vietnam, pour la défolier ? Cette arme chimique, puissant herbicide, provoque aujourd’hui encore des cancers, des fausses-couches [et des malformations congénitales – NDT ]. L’uranium dit «appauvri», dont les Américains ont bombardé l’Irak, produit toujours à l’heure actuelle les mêmes effets. L’armée allemande ne veut même pas révéler la présence des mines en Afghanistan pour «des raisons de sécurité», dit-elle ! Et maintenant nous devons envoyer cent soldats au nord de l’Irak afin d’enseigner aux gens sur place comment on désamorce les mines! Une telle déclaration est un affront à notre population allemande, le comble du cynisme.

Pas plus Monsieur Gauck que Madame Merkel ou Madame von der Leyen ne semblent comprendre ce simple fait: enseigner à des jeunes l’application immédiate du principe «toi ou moi», joint à la manière la plus efficace et la plus radicale possible de tuer le prétendu ennemi, équivaut à un changement fondamental de la conscience. En observant ce qui se passe aujourd’hui, nous devrions nous souvenir d’autre chose encore. C’était en 1918, lorsque dans l’Europe entière, tous et toutes auraient dû dire: il est inconcevable qu’un des participants à cette guerre absurde puisse prétendre se proclamer vainqueur  après le massacre de dix millions de gens. Nous avons tous et toutes perdu notre humanité dans les batailles de Verdun, Ypres, Cambrai; nous partageons toutes et tous l’idée qui proclame «Plus jamais la guerre!» Mais non: les uns veulent n’avoir pas perdu la guerre et les autres veulent l’avoir gagnée. Voilà l’origine de la tragédie du XXe siècle. Exactement cent ans plus tard, nous pourrions enfin le comprendre: avec des bombes, on fait des cimetières, jamais la paix!

Qui devient soldat aujourd’hui le fait pour gagner de l’argent, ceci dans la logique de Madame von der Leyen. On pourrait tout aussi bien être balayeur de rue, boucher, boulanger ou autre chose. Nous sommes retournés au mercenariat de la Guerre de Trente ans. Nous avons maintenant des assassins professionnels, qui tuent sur ordre. Seulement pour l’argent, pour rien de plus élevé. Tout le reste n’est que propagande. Le projet se trahit de lui-même par ses propres mensonges.

La Première Guerre mondiale nous l’avait déjà appris. Il a fallu douze ans à Erich Maria Remarque pour l’écrire: « Si même cela avait été possible…» Cela… Il voulait parler des déluges d’acier sur le front occidental : «… rien ne restait de ce que nous appelions jadis la culture, de Platon à Schopenhauer. Six semaines de formation ont suffi à nous faire ramper dans la boue, sur ordre de n’importe qui, à condition qu’il porte les bonnes épaulettes. Nous sommes devenus des bêtes, des assassins, nous avons cessé d’être des êtres humains.» Que disons-nous aux écoliers auxquels Madame von der Leyen veut diffuser la propagande des officiers de la Bundeswehr? Quand on se demande, en Saxe-Anhalt, s’il ne faudrait pas qu’un pacifiste vienne parler dans les écoles après le passage d’un officier de l’armée allemande, ceci afin de représenter nos positions, la CDU se met immédiatement à hurler et la demande est annulée.  Car l’armée allemande est un organe constitutionnel et s’y opposer démoraliserait les troupes. Or c’est exactement ce que nous voulons: démoraliser les troupes et abolir la Bundeswehr! Parce que nous avons des scrupules à tuer et nous voulons provoquer ces scrupules!

Je pense au pilote de bombardier Harold Nash de la Royal Airforce, en juillet 1943. C’était l’opération Gomorrha, le survol de la ville hanséatique de Hambourg, Round the clock bombing. Résultat : 40’000 morts à Hammerbruck en une seule nuit ! Nash le décrit avec ses propres mots: « Nous voyions sous nos ailes un ruban noir semé de perles et nous savions: ce que nous provoquions là en dessous était pire que l’Enfer de Dante. Nous ne pouvions voir que le feu mais pas les êtres humains, sinon nous n’aurions pas pu le faire.» Est-ce que la réponse doit être: surtout ne pas regarder ? Aujourd’hui, nous  assassinons numériquement à 10’000 kilomètres de distance pour préserver nos nerfs… C’est ça la réponse actuelle Monsieur Gauck, Madame von der Leyen?

Il existe pire encore : l’obéissance. Toutes les  armées du monde enseignent à ses femmes et à ses hommes le garde-à-vous face aux ordres. Même les spécialistes de la torture qui œuvrent dans les camps à Bagram en Irak, en Afghanistan, en Pologne, en Egypte, en Syrie, même ces gens-là sont protégés par Bush jeune et Dick Cheney sous prétexte qu’ils ne sont rien d’autre que des patriotes, exécutant leurs ordres. Pourtant, les Américains devraient s’en souvenir : en 1946 à Nuremberg, ils ont posé exactement cette question aux dignitaires nazis pendant les procès pour crimes de guerre: comment assumaient-ils cette responsabilité? Ils ont entendu alors la ritournelle habituelle de la soldatesque du monde entier: « Un ordre est un ordre ». Et les plaignants de rétorquer: c’est le début du crime, on ne peut pas simplement laisser sa personnalité au vestiaire au moment où on passe un uniforme.

Mais alors comment peut-on devenir soldat? Joshua Key, qui a déserté en 2003 à Bagdad, l’écrit net et clair: « Ici, nous ne combattons pas des terroristes, nous sommes nous-mêmes des terroristes. » Il a vu un de ses camarades abattre une jeune fille qui venait régulièrement mendier à la caserne, sa petite sœur dans les bras. Le jeune soldat la soupçonnait d’être membre d’Al Qaida, avec une ceinture d’explosifs. Peur et violence, c’est la logique de la guerre. Tant que les puissants peuvent nous faire peur, leur pouvoir s’établit par les armes. Devant vous, Monsieur Gauck, Madame Merkel, Madame von der Leyen et tous les autres, peu importe leurs noms, nous avons cessé de nous inquiéter; maintenant, c’est nous qui commençons à vous faire peur, parce que vous perdez le soutien de la population!

Je résume tout ce que je viens de dire avec les mots que le poète Wolfgang Borchert a laissés en testament à l’humanité, en 1947, alors qu’il mourait d’un cancer dans un hôpital de Bâle. Telle est la leçon de la Deuxième Guerre mondiale, la leçon de toute guerre: ce n’est pas vrai que notre pacifisme est un réflexe d’après-guerre; le pacifisme est la conviction principale de toute période d’avant-guerre; nous sommes par principe contre toute guerre. Et Wolfgang Borchert écrivait:

« Toi. Homme à ta machine, toi homme dans l’atelier. Si demain ils te donnent l’ordre de ne plus faire conduites d’eau ni terrines, mais casques d’acier et mitrailleuses, alors, dis NON! Et toi la mère, la mère en Allemagne! La mère en Ukraine! Si demain, ils reviennent et vous disent d’enfanter, d’accoucher d’infirmières de campagne et de nouveaux soldats pour de nouvelles tueries, alors toi, la mère en Allemagne, la mère en Ukraine, dis NON! Toi. Chercheur en laboratoire. Si demain ils te donnent l’ordre d’inventer une mort moderne contre l’ancienne vie, alors, dis NON! Et toi, le pasteur du haut de ta chaire. Si demain ils te donnent l’ordre de bénir le meurtre et de déclarer sainte la guerre, alors, dis NON!

Car si vous ne dites pas NON, cela continuera toujours!

Nous sommes pour :

La fin de l’armement

La sortie de l’OTAN

L’abolition de la Bundeswehr

La conversion de tous les moyens au service de la paix.

La paix est l’avenir, la guerre est le passé. Et nous refusons de laisser la conscience allemande revenir à l’âge de pierre. Nous nous réjouissons des jours de Noël et d’une année nouvelle qui évite les anciennes erreurs.

Merci

Eugen Drewermann – Berlin, le 13.12.2014

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Appel : Chrétiens engageons-nous pour la paix en Palestine !

Pour signer cet appel

Au regard de notre foi et de ses enseignements, nous lançons un appel à tous les gens épris de paix à travers le monde pour agir à arrêter la destruction et le carnage qui se passe à Gaza. 

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Le dialogue nécessaire par Albert Camus

Oui, il faudrait élever la voix. Je me suis défendu jusqu’à présent de faire appel aux forces du sentiment. Ce qui nous broie aujourd’hui, c’ est une logique historique que nous avons créée de toutes pièces et dont les noeuds finiront par nous étouffer. Et ce n’ est pas le sentiment qui peut trancher les noeuds d’une logique qui déraisonne, mais seulement une raison qui raisonne dans les limites qu’elle se connaît.

Mais je ne voudrais pas, pour finir, laisser croire que l’avenir du monde peut se passer de nos forces d’imagination et d ‘amour. Je sais bien qu’il faut aux hommes de grands mobiles pour se mettre en marche, et qu’il est difficile de s’ébranler soi-même pour un combat dont les objectifs sont si limités, et où l’espoir n’a qu’une part à peine raisonnable. Mais il n’est pas, question d’entraîner des hommes. L’essentiel, au contraire, est qu’ils ne soient pas entraînés et qu’ils sachent bien ce qu’ils font.

Sauver ce qui peut encore être sauvé, pour rendre l’avenir seulement possible, voilà le grand mobile, la passion et le sacrifice demandés. Cela exige seulement qu’on y réfléchisse et qu’on décide clairement s’il faut encore ajouter à la peine des hommes pour des fins toujours indiscernables, s’il faut accepter que le monde se couvre d’armes et que le frère tue le frère à nouveau, ou s’il faut, au contraire, épargner autant qu’il est possible, le sang et la douleur pour donner seulement leur chance à d’autres générations qui seront mieux armées que nous.

Pour ma part, je crois être à peu près sûr d’avoir choisi. Et, ayant choisi, il m’a semblé que je devais parler, dire que je ne serais plus jamais de ceux, quels qu’ils soient, qui s’accommodent du meurtre et en tirer les conséquences qui conviennent. La chose est faite , et je voudrais qu’on sente bien dans quel esprit j’ai parlé jusqu’ici.

On nous demande d ‘aimer ou de détester tel ou tel pays ou tel ou tel peuple . Mais nous sommes  quelques-uns à trop bien sentir nos ressemblances avec tous les hommes pour accepter ce choix. La bonne façon d’aimer le peuple russe, en reconnaissance de ce qu’il n’a jamais cessé d’être, – c’est-à-dire le levain du monde dont parlent Tolstoï et Gorki, – n’ est pas de lui souhaiter les aventures de la puissance, c’ est de lui épargner, après tant d’épreuves passées, une nouvelle et terrible saignée. Il en est de même pour le peuple américain et pour la malheureuse Europe. C’est le genre de vérités élémentaires qu’on oublie dans les fureurs du jour.

Oui , ce qu’il faut combattre aujourd’hui, c’ est la peur et le silence, et avec eux la séparation des esprit et des âmes qu’ils entraînent. Ce qu’il faut défendre, c’est le dialogue et la communication universelle des hommes entre eux. La servitude, l’injustice, le mensonge sont les fléaux qui brisent cette communication et interdisent ce dialogue. C’est pourquoi nous devons les refuser. Mais ces fléaux sont aujourd’hui la matière même de l’histoire et, partant, beaucoup d’hommes les considèrent comme des maux nécessaires. Il est vrai, aussi bien, que nous ne pouvons pas échapper à l’histoire, puisque nous y sommes plongés jusqu’au cou. Mais on peut prétendre à lutter dans l’histoire pour préserver cette part de l’homme qui ne lui appartient pas. C’est là tout ce que j’ai voulu dire. Et dans tous les cas, je définirai mieux encore cette attitude et l’esprit de ces articles par un raisonnement dont je voudrais, avant de finir, qu’on le médite loyalement.

Une grande expérience met en marche aujourd’hui toutes les nations du monde, selon les lois de la puissance et de la domination. Je ne dirai pas qu’il faut empêcher ni laisser se poursuivre cette expérience. Elle n’a pas besoin que nous l’aidions et, pour le moment, elle se moque que nous la contrarions. L’expérience se poursuivra donc. Je poserai simplement cette question : « qu’arrivera-t-il si, malgré deux ou trois guerres, malgré le sacrifice de plusieurs générations et de quelques valeurs, nos petits-fils, en supposant qu’ils existent, ne se retrouvent pas plus rapprochés de la société universelle ? » Il arrivera que les survivants de cette expérience n’auront même plus la force d’être les témoins de leur propre agonie. Puisque donc l’expérience se poursuit et qu’il est inévitable qu’elle se poursuive encore, il n’est pas mauvais que des hommes se donnent pour tache de préserver au long de l’histoire apocalyptique qui nous attend, la réflexion modeste qui, sans prétendre tout résoudre, sera toujours prête, à un moment quelconque, pour fixer un sens

à la vie de tous les jours. L’essentiel est que ces hommes pèsent bien, et une fois pour toutes, le prix qu’il leur faudra payer. Je puis maintenant conclure. Tout ce qui me paraît désirable, en ce moment, c’est qu’au milieu du monde du meurtre, on se décide à réfléchir au meurtre et à choisir. Si cela pouvait se faire, nous nous partagerions alors entre ceux qui acceptent à la rigueur d’être des meurtriers et ceux qui s’y refusent de toutes leurs forces. Puisque cette terrible division existe ce sera au moins un progrès que de la rendre claire .

A travers cinq continents, et dans les années qui viennent, une interminable lutte va se poursuivre entre la violence et la prédication. Et il est vrai que les chances de la: première sont mille fois plus grandes que celles de la dernière. Mais j’ai toujours pensé que si l’homme qui, espérait, dans la condition humaine était un fou, celui qui désespérait des événements était un lâche. Et désormais, le seul honneur sera de tenir obstinément ce formidable pari qui décidera enfin si les paroles sont plus fortes que les balles .

(Combat, 30 nov. 1946).

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« Dieu n’a pas choisi l’Amérique pour être le gendarme du monde…» par Jean-Paul NUNEZ

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Mali : Il n’est pas possible de détruire la guerre par la guerre

Communiqué du MIR : Le Mouvement International de la Réconciliation ne peut pas cautionner la guerre de grande échelle que la France vient d’engager au Sahel. 

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Communiqué

 

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Spiritualité

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Citations

La non-violence est la loi de l’espèce humaine comme la violence est celle de la brute. (…) La dignité de l’homme exige de lui l’obéissance à une loi supérieure, à la force de l’esprit.
Gandhi

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