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République Centrafricaine : « Le conflit est politique et non religieux… »

centrafrica « Si vous nous voyez ensemble, cela signifie que la coexistence religieuse entre centrafricains est possible. Le conflit (en cours) dans notre pays n’est pas religieux mais il est le fruit de la manipulation politique qui exploite la religion » déclarent à l’Agence Fides trois des collaborateurs des responsables religieux ayant fondé la plateforme interreligieuse pour la paix en République centrafricaine (S.Exc. Mgr Nzapalainga, Archevêque de Bangui, l’imam Kobin Layana et le pasteur Nguerekoyame Gbangou – voir Fides 20/11/2014) qui ont participé à Rome à un cours de formation visant à soutenir la paix et la coexistence des communautés religieuses organisé par la Communauté de San Egidio.

« Malheureusement, il existe des personnes en Centrafrique qui ne sont pas pleinement conscientes de cette situation et se sont enrôlées dans les différentes milices qui se combattent en pensant défendre leur communauté » déclarent les membres de la plateforme interreligieuse pour la paix. « Nos responsables religieux se sont mis d’accord pour désamorcer cette spirale qui manipule la religion à des fins politiques. Nous devons être les premiers, nous centrafricains, à nous opposer à cette crise, en cherchant à la résoudre avec l’aide internationale ».
Les collaborateurs des trois responsables religieux décrivent un certain nombre d’exemples concrets d’aides entre les différentes communautés. A Bangui, par exemple, dans un quartier à majorité musulmane, différents chrétiens ont été protégés des violences par les musulmans ou bien leurs maisons ont été protégées alors que les chrétiens avaient fui, de même que des musulmans ont été protégés par des chrétiens.
Un autre exemple de coexistence est offert par la Paroisse Notre-Dame de Fatima de Bangui, au sein de laquelle existent différentes activités entre chrétiens et musulmans, comme des matchs de football et d’autres activités communes.
« Le problème le plus urgent est le désarmement. Trop d’armes sont en circulation et différents jeunes anciens combattants se sont transformés en bandits qui sèment la terreur et l’insécurité. Il faut cependant avant tout désarmer les âmes des personnes. Et c’est là que les religions peuvent jouer un rôle fondamental » concluent les représentants de la plateforme interreligieuse pour la paix en Centrafrique.

(L.M.) (Agence Fides 06/02/2015)

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Pierre Rabhi : « L’humanité n’est pas intelligente »

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Combattre la violence par la violence ? 

paixFace au retour de la guerre contre le terrorisme, les enseignants du Centre de Formation et de Rencontre du Bienenberg viennent de publier une prise de position qui donne des pistes de réflexion et d’action dans la perspective des Églises de paix.

Les Etats occidentaux réagissent actuellement contre le terrorisme des milices de l’EI (Etat Islamique) en Irak et en Syrie, avec des frappes aériennes et des livraisons d’armes. Devant les horreurs qui nous sont rapportées, cette réaction est approuvée en bien des endroits, y compris dans les Eglises. Alors que celles-ci protestaient encore largement en 2003 contre l’invasion américaine en Irak, de nombreuses voix se font entendre pour justifier les interventions militaires en les considérant comme une prise de responsabilité conforme à la foi chrétienne.
En tant que Centre de formation du Bienenberg, nous suivons la tradition des Eglises de paix d’après laquelle un engagement pacifiste découle de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus- Christ. Une telle position est une fois de plus remise en question par les événements horribles et menaçants que nous connaissons. Tout d’abord, nous sommes nous aussi profondément ébranlés (si toutefois on peut l’être dans un pays aussi sécurisé que la Suisse) quand nous entendons que des chrétiens et d’autres minorités sont persécutés et mis à mort. Nous ressentons nous aussi de l’impuissance, de la colère et le désir qu’on mette rapidement un terme à ces agissements brutaux. Cependant, nous croyons malgré tout que dans cette situation, des convictions pacifistes ne sont pas devenues illusoires. Au contraire, comme chrétiens, nous sommes mis au défi de chercher dans l’Evangile une relation non-violente avec les ennemis. Nos réflexions s’adressent donc tout d’abord à ceux qui confessent Jésus-Christ comme Prince de la paix et qui le suivent. Nous comprenons son exhortation à aimer ses ennemis comme un appel adressé à l’Eglise d’être le témoin dans ce monde du royaume de Dieu à venir.
Nous partageons avec ces lignes quelques réflexions, encore inachevées, sur des événements qui nous laissent parfois sans voix. Nous exprimer, c’est prendre le risque de paraître lourds et cyniques. Nous sommes bien conscients de ne pas avoir une réponse satisfaisante à tout. Mais nous aimerions partager nos luttes avec les questions oppressantes que posent toujours à nouveau de telles explosions de violence. Certes, nous savons qu’il est facile de parler quand on se trouve à une distance confortable des confrontations et de leurs cortèges de violences. Nous reconnaissons encore bien volontiers que dans le domaine de la prévention, nous sommes restés trop longtemps passifs et nous n’avons de loin pas épuisé toutes les possibilités existantes. Pourtant, nous ne voulons pas nous laisser paralyser par l’impuissance et la résignation. Nous voulons continuer à participer à la « recherche de la paix » (Hb 12.14), humblement et avec l’aide de l’Esprit de Dieu. Ceci, nous le faisons par attachement et par solidarité avec les victimes de ces agissements inhumains. Seigneur, aie pitié !
1RE OBJECTION : LE PACIFISME (CHRÉTIEN) N’EST-IL PAS IRRÉALISTE ET NAÏF ?
En ces jours, certains qualifient le pacifisme chrétien de naïf(1). Un tel reproche n’est pas nouveau. Il est connu et récurrent. Tout au long de l’histoire, on s’est moqué des personnes et des mouvements qui se sont opposés à la logique ambiante de la violence et contre-violence. Certes, les puissants n’ont pas seulement considéré ces personnes comme de doux rêveurs inoffensifs. Ils pressentaient les enjeux et se demandaient, inquiets, ce qu’il adviendrait si elles en convainquaient d’autres à refuser la violence. Ils ont alors souvent donné eux-mêmes rapidement la réponse, sous forme de persécution et de peine de mort. Les anabaptistes en savent quelque chose. Ainsi, la question : « Qu’adviendra-t-il ? » est la plupart du temps restée sans réponse. Et c’est dommage, car avec le recul, bien des récits ont été rapportés d’artisans de paix qui, avec leur pacifisme soi-disant naïf, ont empêché ou arrêté des effusions de sang(2). Ce sont des histoires de revirements inattendus, rendus possibles précisément parce que des personnes ont agi de manière « irréaliste », dans le meilleur sens du terme. Elles se sont exercées à une « culture de la paix »(3), en donnant une réponse alternative à la violence. L’affirmation selon laquelle le pacifisme chrétien serait fondamentalement condamné à l’échec n’est donc pas vraie, même si, bien sûr, le succès espéré n’est pas non plus garanti. Mais chacun sait qu’il en va de même des interventions militaires.
Par ailleurs, nous ne devons pas oublier que le pacifisme chrétien est un chemin qui coûte(4). Il s’apparente en ce sens aussi aux interventions militaires. L’espoir de pouvoir mener une guerre « propre » avec des armes intelligentes, grâce auxquelles on pourrait viser et tuer « uniquement » les terroristes sans faire d’autres victimes, s’est depuis longtemps révélé illusoire. Existe-t-il dès lors une si grande différence entre l’abnégation des soldats armés et celle des chrétiens pacifistes, pour que les derniers seulement soient considérés naïfs et irréalistes ?
2ÈME OBJECTION : SEULE LA VIOLENCE PEUT ARRÊTER LA VIOLENCE
Il y a 11 ans, les Américains ont entrepris de faire tomber le dictateur irakien de l’époque, Saddam Hussein, présenté comme faisant partie de l’ « axe du mal ». La réussite fut fêtée comme le succès rapide d’une puissante machinerie militaire. Mais très rapidement, on s’est rendu compte à quel point la stratégie avait été pensée à court terme. Au lieu de pouvoir se retirer rapidement comme prévu, les troupes de combat américaines se sont retrouvées impliquées dans une guérilla qui a duré de nombreuses années, faisant beaucoup de victimes et occasionnant des dépenses faramineuses. Lorsqu’en 2011 les dernières troupes ont enfin pu être retirées, elles ont laissé derrière elles une région politiquement instable avec un pouvoir inexistant – un vide comblé depuis, de plus en plus souvent, par des groupuscules radicaux. L’intervention militaire a certes écarté un dictateur, mais elle a aussi provoqué de nouveaux excès de violence. Le même phénomène existe en bien d’autres endroits du monde. Benjamin L. Corey demande dès lors à juste titre : « Si c’est l’usage de la violence qui nous a amenés jusqu’ici, pourquoi pensons-nous que davantage de violence pourrait permettre de changer les choses en bien ? ».(5)
Sous le sigle R2P (Responsibility To Protect, « La responsabilité de protéger »), des cercles politiques et religieux se sont prononcés en faveur d’un programme en trois étapes pour résoudre ou empêcher les conflits violents : prévention, réaction, reconstruction (6). L’exemple de l’Irak nous rappelle douloureusement qu’on envisage dans les conflits, dans la précipitation, uniquement des réactions violentes. Celles-ci, au final, non seulement ne résolvent pas les conflits, mais les aggravent parfois. De telles interventions militaires promettent souvent beaucoup plus que ce qu’elles apportent au bout du compte. Qu’adviendrait-il si, dans les situations de grandes tensions, on investissait au moins autant d’argent dans la prévention et la reconstruction (y compris la prise en charge des traumatismes) que dans l’arsenal militaire censé assurer ou rétablir la paix (7) ?
3ÈME OBJECTION : DEVONS-NOUS NOUS CONTENTER D’ÊTRE SPECTATEURS DE CES AGISSEMENTS ?
Non. La théologie de la paix n’est pas synonyme de passivité ni d’indifférence. La situation actuelle exige une réaction. Toute la question est de savoir par quels moyens. Une intervention militaire semble justifiée depuis longtemps. Pourtant, un regard sur l’histoire montre que plus d’une « guerre juste » a été menée pour des raisons douteuses, en contradiction par rapport à l’intention initiale. Quels sont les buts de la coalition internationale en Irak ? Respecte-t-elle elle-même, dans ses interventions militaires, le droit qu’elle exige de ses ennemis ? Pourquoi, dans de nombreux autres cas d’injustice et de mépris de la vie humaine, n’entend-on pas d’appel à la responsabilité de protéger ?
Nous sommes convaincus qu’il faut affronter le mal. Mais la violence ne nous paraît pas être un moyen approprié. Voici quelques alternatives :
– Prier. Beaucoup de chrétiens demandent des choses curieuses à Dieu dans leurs prières. Celui qui demande, par exemple, du beau temps malgré des prévisions météorologiques mauvaises, ne demande-t-il pas à Dieu d’abolir les lois météorologiques ? Pourquoi cette confiance dans la puissance de Dieu disparaît-elle si rapidement lorsqu’il est question de guerre et de paix ? Ces jours, si nous prions pour les victimes et les personnes menacées, et pour les auteurs des violences, nous le faisons dans la confiance en la promesse divine exprimée en Za 4.6 : « Ce n’est ni par la puissance, ni par la force, mais c’est par mon Esprit ».
– Des interventions pacifiques non-violentes. Souvent ignorées par les reportages grand public, certaines personnes prennent le risque de s’interposer sans armes entre deux fronts en conflit, dans différentes régions du monde (8). Elles ne ferment pas les yeux devant le mal, mais le confrontent courageusement par une présence non armée. Dans leur vulnérabilité, elles brisent le schéma classique ami-ennemi, ouvrant parfois des espaces d’action inattendus. Leurs récits, impressionnants, prouvent qu’il existe une « troisième voie ». Ils interpellent et défient les modèles habituels de résolution de conflits.(9) De telles interventions nous rappellent l’importance du contact direct avec les hommes et les communautés religieuses sur place, pour ne pas nous laisser entraîner sans réfléchir, par les médias, dans des distinctions sans nuances entre les « bons » et les « mauvais ». Dans la recherche d’une action adéquate contre le terrorisme de l’EI, nous voulons donc tout particulièrement écouter la voix des chrétiens directement concernés.
– Aide aux réfugiés. L’histoire anabaptiste nous rappelle que beaucoup de personnes ont réagi à la répression et à la persécution en s’enfuyant. Nombre d’entre elles ont fait l’expérience de la solidarité et de l’hospitalité. Aujourd’hui, nous pouvons nous aussi prendre nos responsabilités, animés par une générosité analogue : en contribuant sur place aux premiers secours, en facilitant ici en Europe l’accueil de réfugiés – accueil que nos autorités empêchent encore trop souvent.(10)
– L’engagement de forces policières. Certains cercles chrétiens réfléchissent à l’engagement d’unités de police internationales, dans l’esprit de Just policing. Formées pour la résolution non-violente des conflits et liées par le droit international et les droits de l’homme, de telles unités peuvent intervenir pour protéger les gens. Est-ce possible sans aucune arme ? La question fait débat. Mais même si ces unités de police n’intervenaient que de façon mesurée, par exemple pour sécuriser un couloir humanitaire, ce serait déjà une stratégie radicalement différente comparée à la mise sur pied d’une intervention militaire massive destinée à anéantir l’ennemi. Les cercles de chrétiens pacifistes qui jugent de telles interventions acceptables prônent un « usage de la force sans morts ».(11)
4ÈME OBJECTION : LA BIBLE NE PARLE-T-ELLE PAS D’UNE VIOLENCE NÉCESSAIRE ?
Incontestablement, il y a dans la Bible quelques textes surprenants où la violence est voulue par Dieu, ou tout du moins présentée comme légitime. Il nous paraît toutefois inconvenant d’extrapoler à partir de ces textes pour déclarer que la violence serait parfois nécessaire, ou pour présenter cette position comme une vérité générale. Car les grandes lignes du message biblique, pris dans son ensemble, montrent clairement ce à quoi Dieu tient particulièrement : le shalom, une paix juste. Jésus est celui qui a le mieux révélé cette volonté de paix globale. Sans aucun compromis, il a lutté contre toute pseudo-religion, contre l’injustice et le pharisaïsme, tout en aimant ses ennemis au lieu de les tuer – et ce, même lorsque les autorités politiques et religieuses l’ont condamné à mourir sur la croix. Par la résurrection de Jésus le matin de Pâques, Dieu a dénoncé la logique de la violence, éclairant ainsi la justice accomplie par Jésus et la voie par lui tracée. L’Eglise primitive, en réfléchissant à l’histoire de Jésus, est arrivée à la conclusion que Dieu a répondu à la haine des hommes par un amour réconciliateur (Rm 5.10). Au lieu de rendre les coups, Dieu a embrassé le monde en lui procurant le shalom. Il est évident que Jésus s’est lui aussi donné en exemple, pour montrer comment le shalom peut apparaître parmi les hommes (Phi 2.5-11). En tant que chrétiens, nous nous sentons par conséquent appelés à suivre les pas de Jésus (1 P 2.21 ; Lc 22.49-51) et à vaincre le mal par le bien (Rm 12.21). Ce faisant, nous sommes aussi conscients que rien ne garantit que ce chemin mènera toujours au succès. Au cours des siècles, les artisans de paix ont parfois payé un lourd tribut. Cependant, le message de la résurrection éveille en nous la conviction que ce ne sont pas la haine et la mort qui ont le dernier mot, mais l’amour de Dieu qui restaure. Nous prions donc que notre peur cède la place à cet amour offert, aussi à l’ennemi.(12)

le collège enseignant du Centre de formation du Bienenberg,
Lukas Amstutz, Frieder Boller, Heike Geist, Hanspeter Jecker, Denis Kennel, Bernhard Ott, Michel Sommer, Marcus Weiand, Marie-Noëlle Yoder
16 septembre 2014.

NOTES

(1) Ce manque de réalisme du pacifisme chrétien a récemment été dénoncé par Reinold Scharnowski dans son article « Allerletzte Möglichkeit ist Waffen-gewalt » (« En dernier recours, la puissance des armes »,http://www.livenet.ch/themen/glaube/glaube/261886-allerletzte_moeglichkeit_ist_waffengewalt.html).

(2)Cornelia Lehn a rassemblé quelques-uns de ces récits dans Histoires d’Hier et d’Aujourd’hui, Cahier de Christ Seul N° 4/1990, et Bonnes nouvelles de par le monde, Cahier de Christ Seul N° 4/1991, Editions mennonites.

(3)Cf. Alan et Eleanor Kreider, Paulus Widjaja : A Culture of Peace: God’s Vision for the Church, Good Books, 2005 (en allemand : Eine Kultur des Friedens: Gottes Vision für Gemeinde und Welt, Schwarzenfeld, 2008).

(4)Ron Sider en a fait l’esquisse dans « Gottes Volk versöhnt » (« Le peuple de Dieu réconcilie »), XI. Mennonitische Weltkonferenz Straßburg, 1984: Hauptansprachen, Strasbourg, CMM, p. 35-39 (en anglais) God’s People Reconciling

(5)theolgiestudierende

(6)Ce concept est expliqué en détail http://www.schutzverantwortung.de. Pour une discussion détaillée dans la perspective des Eglises de paix, voir Jakob Fehr, cf.http://www.dmfk.de/fileadmin/downloads/Fehr_-_R2P_die_Konfrontation_mit_dem_Boesen.pdf.

(7)Pour un exemple d’élaboration d’une stratégie durable en Irak, voir is-there-a-nonviolent-response-to-isis

(8)Comme par exemple les Christian Peacemaker Team (cpt.org)

(9)Voir par exemple deux rapports sur http://mennoworld.org/2014/09/01/cpt-aids-refugees-seeking-safety-in-iraqi-kurdistan et jim-foley-is-and-what-i-learned-from-being-kidnapped.

(10)L’Américain Benjamin L. Corey se demande : « Pourquoi n’organisons-pas le plus grand pont aérien depuis celui de Berlin pour tirer toutes ces minorités religieuses et ethniques de leur détresse et leur offrir l’asile aux USA ? ».

(11)Cf. la conférence de Fernando Enns, « Gerechter Frieden zwischen Interventionsverbot und Schutzgebot » (« Une paix juste entre l’interdiction d’intervention et le devoir de protection », http://friedensbildung-schule.de/sites/friedensbildung-schule.de/files/anhang/medien/fbs-responsibility-protect-449.pdf).

(12)Alice Su témoigne du vécu d’une telle transformation surhttp://gospelworldview.wordpress.com/2014/09/03/1-john-isis-and-the-gospel-versus-terror (en allemand sur bienenberg-blog.ch)

ANNEXE. BIBLIOGRAPHIE EN FRANÇAIS POUR ALLER PLUS LOIN

– Neal Blough, Le pacifisme évangélique : Le pacifisme évangélique
– Collectif, Des pas vers la paix – Recueil d’articles en forme d’impulsions, Dossiers de Christ seul, Editions Mennonites, Montbéliard, 4/2003-1/2004, 124 pages
– Collectif, Guerre ou paix ?, Cahiers de Christ seul, Editions Mennonites, Montbéliard, 4/1992 (avec l’article de John H. Yoder, “Que feriez-vous si… ?”)
– Frédéric de Coninck, Tendre l’autre joue ? La non-violence n’est pas une attitude passive, Farel, Marne-la-Vallée, 2012
– Laserre Jean, Les chrétiens et la violence, Ed. Olivétan, Lyon, 255 p. (première édition en 1965)
– Gabriel Monnet, Tendre l’autre joue ? : Tendre l’autre joue?
– Ron Sider, Explorer les limites de la non-violence au 21e siècle :
Explorer les limites de la non-violence au 21e siècle
– Yoder John H., Jésus et le politique – La radicalité éthique de la croix, Presses Bibliques Universitaires, Lausanne, 1984
– Yoder John H., De la paix du Christ à la « politique » de l’Eglise, collection Perspectives anabaptistes, Excelsis, Charols, 2014, 271 pages

 

Source : http://www.christ-seul.fr/article.asp?id=2083

 

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Jean-Marie Müller: «Il faut désarmer les religions»

Jean-Marie MüllerDans le cadre des 100 ans duMouvement International de la Réconciliation, le philosophe français Jean-Marie Müller a donné une conférence à Lausanne, mercredi 21 janvier. Ce spécialiste de la non-violence, âgé de 75 ans, a créé plusieurs associations pour la résolution des conflits et a publié une trentaine d’ouvrages sur ce sujet. Rencontre.

Photo: Jean-Marie Müller © La Découverte/Louis Monier

Par Laurence Villoz

Vous avez consacré votre vie à la non-violence, quelle est la différence entre la non-violence et le pacifisme?

En français, le pacifisme a une connotation négative. Il fait référence à une conception simpliste de la paix. Le pacifiste est une personne qui non seulement croit que la paix est possible, mais qui croit aussi que les conflits peuvent se résoudre par le dialogue, par la parole et par la négociation. Ce courant condamne la guerre sans tenir compte de sa fonction dans la résolution des inévitables conflits dans la société.

De son côté, la non-violence est également une critique radicale de la violence et de la guerre, mais parallèlement elle cherche une alternative réaliste à la violence pour résoudre les conflits, comme l’ont fait Ghandi ou Martin Luther King. La non-violence essaie de pallier les insuffisances du pacifisme. C’est un concept, une idée et une philosophie, mais qui essaie de prendre en compte les exigences et les contraintes de la réalité alors que le pacifisme condamne toutes les guerres et demande un désarmement unilatéral, ce qui est impossible. Je ne suis pas pacifiste.

Vous avez voyagé aux quatre coins du monde et participé à de nombreux sommets pour la paix, y a-t-il une méthode pour que des pays en conflit laissent tomber les armes?

Il y a un moyen efficace, c’est la médiation de proximité entre les populations adverses, appelée intervention civile de paix. Concrètement, on multiplie la présence de personnes formées à la résolution non-violente des conflits qui réalisent une médiation de proximité sur le terrain. Cette méthode permet d’ouvrir des espaces de dialogues et de redonner le droit à la parole à ceux qui se haïssent. La médiation peut être utilisée aussi bien dans les cours d’école que sur les territoires de conflits internationaux, mais elle demande l’implication de la population civile. En Palestine, des réseaux de citoyens s’organisent, ils ont pris conscience que la violence n’était pas la solution. Ils restent minoritaires, mais c’est une solution pour l’avenir.

Actuellement, chaque situation de conflit présente le même schéma: on oscille entre des négociations qui échouent et la violence, mais il y a un vide entre les deux, il faudrait de la résistance non-violence.

Quel rôle joue la religion dans la violence?

La plupart des religions ont non seulement justifié la violence, mais encore ignoré la non-violence. Le drame est qu’elles ont voulu concilier l’exigence de l’amour et une rhétorique sur la violence juste, une théologie de la guerre juste. Dans le Coran, des versets justifient la violence. Le prophète lui-même a été violent en faisant assassiner des opposants à son pouvoir. L’islam n’est pas seulement une religion de paix. Les responsables musulmans doivent réaliser une critique des doctrines religieuses sur la violence et sur le meurtre juste. Dans la Bible, il y a aussi plusieurs  versets qui justifient la violence ou qui montrent Dieu lui-même comme un être violent. Mais Jésus a engendré une rupture avec l’Ancien Testament, malheureusement il n’y aura pas de nouveau Coran.

Jésus a abrogé la loi du talion. Toutefois, les Eglises chrétiennes n’ont globalement pas fait cette rupture avec cette loi. Elles ont accepté l’Ancien Testament comme un écrit canonique. L’inquisition a été catholique avant d’être musulmane. C’est aussi vrai pour le judaïsme radical qui influence le sionisme de l’Etat d’ Israël. Il faut désarmer les religions, non seulement en France, mais aussi Daech (Etat islamique) ou Boko Haram. Il faut désarmer Dieu grâce à la non-violence.

Comment expliquez-vous que certaines personnes commettent des actes d’une violence inouïe?

L’homme est incliné à la violence et disposé à la non-violence. Il est incliné à la violence par souci de soi, pour satisfaire ses intérêts, ses besoins et ses désirs. Si la personne en face de lui cherche également à satisfaire ces désirs et ses besoins, il peut y avoir conflit et violence. C’est le dialogue, le compromis, la négociation qui va permettre une situation viable. Je pense que c’est la frustration de désirs non satisfaits qui incite souvent à la violence. La médiation permet de mettre en parole nos frustrations, nos désirs et notre colère.

De plus, la société véhicule un éloge de la violence. Les héros sont toujours violents de quelques manières. En France, de nombreuses statues représentent un homme armé sur un cheval. Les nations justifient et honorent la violence comme la vertu de l’homme fort plutôt que comme la faiblesse de l’homme impuissant. Un point de vue également utilisé par les milices radicales dans leurs tentatives de séduction: l’adolescent mal dans sa peau va trouver dans la violence la possibilité de s’affirmer et de s’exprimer. Il faut à tout prix la décrédibiliser.

Parallèlement, il y a la violence domestique: des enfants, des femmes et des hommes battus. A un moment donné, la violence a été un moyen d’éducation, je crois qu’il faut une rupture totale avec cette pratique. L’éducateur doit se faire respecter, mais la violence ne suscite pas le respect, elle suscite la peur et la peur engendre le mépris. Il y a toute une révolution à faire. L’éducation doit mettre en place les projets éthiques de non-violence. Par exemple, en Iraq, un grand nombre d’armes en plastique ont été retirées des jouets pour enfants. Les jouets non-violents sont une préparation à une attitude non-violente.

Jean-Marie Müller, en dix dates clés

  • 1939: naissance le 21 octobre à Vesoul en Haute-Saône (FR).
  • 1969: objecteur de conscience, il est condamné à trois mois de prison avec sursis, mille francs d’amende et cinq ans de privation de ses droits civiques pour avoir refusé de porter les armes.
  • 1970: virage professionnel, il quitte son poste de professeur de philosophie pour se consacrer à plein temps à ses travaux de recherche sur la non-violence ainsi qu’à des actions pacifistes.
  • 1974: fondation du Mouvement pour une alternative non-violente (MAN) dont il est le porte-parole nationale
  • 1983: réalisation d’une étude pour le Ministre de la Défense sur la défense civile non-violente.
  • 1984: participation à la création de l’Institut de recherche sur la résolution non-violentes des conflits (IRNC) dont il est actuellement le directeur des études.
  • 1985-1992: chargé de cours à l’Institut d’études politiques de l’Université de Lyon où il a enseigné les stratégies de l’action non-violente.
  • 1998: l’Assemblée général des Nations-Unis le proclame parrain de la Coordination française de la Décennie internationale pour la promotion d’une culture de la non-violence et de la paix pour la période de 2001-2010.
  • 2010: publication de l’ouvrage Désarmer les dieux, le christianisme et l’islam au regard de l’exigence de non-violence aux Editions du Relié.
  • 2013: lauréat du Prix international de la fondation indienne Jamnalal Bajaj pour la promotion des valeurs gandhiennes.

Jean-Marie Müller est marié et père de deux enfants. Il a voyagé aux quatre coins du monde pour promouvoir la non-violence.

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Après les attentats en France, être artisans de paix

Apres-les-attentats-en-France-etre-artisans-de-paixLes Eglises évangéliques mennonites de France ont réagi aux attentats en France par un communiqué invitant à être artisans de paix.

Notre pays, toute la population et nous-mêmes sommes sous le choc des événements récents, à savoir l’agression terroriste contre les journalistes de Charlie Hebdo, les forces de l’ordre et des Français de confession juive, à Paris, Porte de Vincennes. Les sentiments des uns et des autres vont de la colère contre les agissements commis et contre leurs auteurs, à la peur devant l’insécurité et l’évolution de la situation, en passant par la tristesse, le malaise ou encore la perplexité.Nous pensons aux personnes décédées et prions ensemble pour toutes les familles et les proches touchés. Nous sommes dans le deuil. Les rassemblements qui ont eu lieu dans beaucoup de villes ont pu témoigner de la volonté de vouloir vivre ensemble de manière paisible. L’indignation est compréhensible et doit encourager à refuser l’indifférence devant d’autres tragédies travers le monde.Ce drame devrait aussi nous pousser tous à nous interroger sur l’état de notre pays, sur les causes profondes qui conduisent à l’extrémisme de certains : sentiment d’abandon de populations défavorisées, absence de repères constructifs, affaiblissement du lien social, interventions militaires, etc.

Au-delà des faits, nous pouvons redouter les conséquences dans le pays : méfiance, tensions, voire passages à l’acte envers les uns ou les autres, politique sécuritaire, diabolisation des ennemis. Ce climat risque de faire le jeu de partis semant la haine envers les étrangers et nos compatriotes musulmans.

Face à cette situation dégradée, les chrétiens et les Églises sont appelés à répondre à la manière de Celui qui est leur Seigneur. À la haine, Jésus a répondu par l’amour, à la violence, il a répondu par la non-violence, à l’exclusion, il a répondu par la main tendue, aux massacres, il a répondu en appelant à la conversion.

C’est la manière d’agir de Jésus qui doit nous guider et nous inciter à répondre au mal par la pratique du bien. Prenons l’initiative de manifester le respect, l’amitié et l’hospitalité. Refusons de répandre mensonges et clichés destructeurs, dénonçons l’incitation aux préjugés, aux amalgames et à la peur teintée de racisme. Collaborons avec d’autres pour favoriser la paix sociale.

Prenons des initiatives pour rejoindre les populations qui se sentent exclues, en particulier les jeunes, et ouvrons des dialogues avec nos compatriotes juifs et musulmans pour un réel vivre-ensemble dans la cité.

Dans le contexte actuel, l’ensemble des Églises et des chrétiens sont appelés d’une manière nouvelle à devenir artisans de paix et de justice.

Le président de l’Association des Eglises Evangéliques Mennonites de France et les membres de son Bureau, la Commission Foi et Vie, la Commission de Réflexion pour la Paix

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Face à la tragédie de Charlie Hebdo (Jean-Marie Muller)

muller1Dans l’après-midi du 7 janvier, ayant appris qu’un attentat avait été commis dans les locaux de Charlie Hebdo, je découvre sur Internet que Cabu est au nombre des journalistes tués. Cette nouvelle me bouleverse. Â plusieurs reprises, dans ma vie militante, j’ai eu l’occasion de le côtoyer et un lien d’amitié s’était créé entre nous. Le sourire qui illuminait son visage laissait transparaître une grande sérénité. Il témoignait d’une grande douceur. Chaque semaine, en ouvrant Le Canard Enchaîné j’avais hâte de découvrir ses dessins.

Dans le même temps, je découvre les noms des autres personnes tuées dans cet attentat – journalistes et policiers – et je mesure l’ampleur de la tragédie qui frappe la France tout entière. Ces meurtres odieux sont la négation et le reniement des valeurs d’humanité qui fondent la civilisation. Le dimanche 11 janvier, j’ai manifesté dans les rues de Paris pour affirmer avec des centaines de milliers d’autres Français notre détermination à refuser toute peur face aux menaces terroristes et à continuer de lutter pour la liberté. Cette formidable mobilisation populaire pourrait être un signe d’espérance pour la démocratie française. L’idée-force autour de laquelle ces milliers de Français ont voulu se rassembler était d’affirmer leur volonté de faire communauté au-delà de tout communautarisme, et de vivre ensemble une véritable laïcité qui respecte les convictions de tous dans l’affirmation d’une éthique universelle qui seule peut fonder l’égalité, la liberté et la fraternité.

La publication des caricatures de Mahomet en question

Pour autant, je dois avouer que je ne saurais être entièrement solidaire des décisions prises par Charlie Hebdo concernant la publication des caricatures du Prophète Mahomet.
Il se trouve que j’ai séjourné du 2 au 13 février 2006 à Jérusalem. J’avais été invité à me rendre à Gaza par Ziad Medoukh, professeur de français à l’Université Al-Aqsa de Gaza, afin d’y animer une session sur la non-violence. Lors d’un séjour précédent en Israël, le Consul de France m’avait assuré qu’il me donnerait tous les feux verts pour que je puisse aller à Gaza. Mais, cette fois, il m’a fait savoir qu’en raison de la publication des caricatures danoises en France (France-Soir les a publiées le 1er février et elles seront publiées le 8 février dans Charlie Hebdo) et des manifestations d’hostilité qu’elles ont provoquées parmi les Arabes, il était hors de question que je me rende à Gaza. Le 2 février, les Brigades des martyrs d’Al-Aqsa avaient affirmé : « Tout Norvégien, Danois ou Français présents sur notre terre est une cible.
C’est donc au Proche-Orient, dans ces conditions quelque peu particulières, que j’ai reçu les informations au sujet de la publication en France des caricatures de Mahomet. Sans aucun doute, ce décentrement m’a amené à une perception de la réalité sensiblement différente de celle qui a semblé prévaloir en Occident. Dès mon retour en France j’ai écrit un article intitulé « Le choc des caricatures ». J’en reproduis ici quelques extraits :
« Si l’on s’en tient à juger les événements déclenchés par ces dessins, d’abord publiés au Danemark, à travers le prisme de l’idéologie laïque occidentale, on risque fort de ne voir dans ces publications qu’un exercice légitime de la liberté d’expression. On devient alors incapable de comprendre la lecture que les musulmans font de ces mêmes événements. En démocratie, la liberté d’expression est un droit imprescriptible, mais elle n’est pas un droit absolu. Elle trouve ses limites dans le respect d’autrui. Elle n’est légitime que si elle est conjuguée avec l’intelligence et la responsabilité, deux vertus qui se trouvent également au fondement de la démocratie. La rhétorique sur la liberté de diffamation qui prétend justifier la publication de ces dessins présente aux musulmans une caricature de la démocratie occidentale. Dès lors, toutes celles et tous ceux qui, au sein du monde musulman, s’efforcent de faire prévaloir les valeurs et les principes de la laïcité démocratique se trouvent placés dans une position intenable.
« Quand on considère le déficit de la liberté d’expression dans de nombreuses sociétés – notamment dans des pays dominés par des régimes qui font référence à l’islam -, on mesure mieux la valeur décisive de cette liberté pour construire une démocratie authentique. Ceux qui ont la chance d’en bénéficier ont la responsabilité de ne pas la déconsidérer par des abus déraisonnables. (…)
« Certes, toute religion doit être soumise à la critique de la raison et, tout particulièrement, sur son rapport à la violence. (…) Ce débat exigeant n’est pas facile, mais l’une des conséquences les plus graves de la publication de ces caricatures, c’est de le rendre plus difficile encore.
« Inconscients de leur arrogance, les occidentaux appellent les musulmans à savoir faire preuve d’humour face à l’insolence de dessins qui se voudraient humoristiques. Mais l’humour est un bien trop précieux pour être galvaudé. Il se renie lui-même lorsqu’il se transforme en dérision et en stigmatisation. Ces dessins, en réalité, ne présentent qu’une caricature de l’humour.
« Point besoin n’était d’être devin pour prévoir que de telles satires ridiculisant le Prophète Mahomet seraient interprétées par les musulmans comme autant d’offenses à leur religion. Pour autant, ces foules de musulmans en colère, instrumentalisées par des groupes ou des régimes politiques, qui profèrent des cris de haine à l’encontre de l’Occident, en allant parfois jusqu’à en appeler au meurtre, donnent assurément une image caricaturale de l’islam.
« Le plus dramatique, c’est que ce choc des caricatures nous a fait faire un pas en avant dans la logique détestable du « choc des civilisations ». Les relations entre le monde occidental et le monde musulman comportent un formidable défi. Pour le relever, il importe d’avoir l’audace de défricher le chemin d’un dialogue sans concession qui nous permette d’inventer un avenir commun en découvrant, au-delà des errements du passé, des références éthiques communes. »

Ces jugements apparaîtront peut-être durs à d’aucuns, trop durs. Je rappelle qu’ils ont été écrits en 2006 et qu’ils concernent les caricatures danoises publiées en France. Nous avons probablement oublié les passions qu’elles ont alors suscitées au sein des communautés musulmanes en France et partout dans le monde. Pour ce qui concerne les dessins de Charlie Hebdo publiés depuis, il faudrait certainement apporter des nuances. Ces dessins sont différents les uns des autres et chacun doit être jugé pour lui-même à travers un large spectre d’appréciations.

Les religions, malheureusement, ignorent la non-violence

Face à la tragédie des 7 et 8 janvier, les responsables religieux ont tenu à condamner ces meurtres en affirmant que les religions ne prêchaient que la tolérance et la paix et qu’elles étaient innocentes de cette tragédie. Mais ce langage religieusement correct risque fort de contenir un déni de la réalité.
L’histoire des hommes est criminelle. Jusqu’à la désespérance. La violence meurtrière semble peser sur l’histoire comme une fatalité. L’exigence universelle de la conscience raisonnable interdit le meurtre : « Tu ne tueras pas ». Cependant, nos sociétés sont dominées par l’idéologie de la violence nécessaire, légitime et honorable qui justifie le meurtre. Dès lors, pour de multiples raisons, l’homme devient le meurtrier de l’autre homme. Et souvent la religion apparaît comme une partie intégrante des tragédies criminelles qui ensanglantent le monde. 
Même lorsqu’ils ne tuent pas « au nom de la religion », les hommes tuent maintes fois en invoquant la religion. En de multiples circonstances, la religion permet aux meurtriers de justifier leurs méfaits. Elle leur offre une doctrine de la légitime violence et du meurtre juste. Â de nombreuses reprises, elle commet l‘erreur décisive de laisser croire aux meurtriers que « Dieu est avec eux ».
Il est remarquable que, au-delà de certaines différences d’accentuation, les religions s’en tiennent pour l’essentiel à la même doctrine. Le plus important n’est pas ce que les religions disent de Dieu, mais ce qu’elles disent de l’homme, plus précisément ce qu’elles disent à l’homme et ce qu’elles ne lui disent pas.

Prendre Gandhi à la lettre

Il faut prendre définitivement Gandhi à la lettre lorsqu’il affirme que la non-violence est la vérité de l’humanité de l’homme. Gandhi affirme également : « La seule manière de connaître Dieu est la non-violence. » En ignorant la non-violence, les religions ont méconnu Dieu dont l’être – en toute hypothèse – est essentiellement pur de toute violence. L’opposé de la foi, ce n’est pas l’incroyance, mais la violence. Mais ce qui est plus grave encore, c’est qu’en ignorant la non-violence, les religions ont méconnu l’homme dont l’être spirituel s’accomplit dans la non-violence. En justifiant la violence, c’est l’homme que les religions trahissent. C’est l’humanité de l’homme qu’elles nient.

L’antinomie radicale entre l’amour et la violence

On a souvent critiqué les religions pour leur justification de la violence. Certes, les religions sont coupables par ce qu’elles apportent à la violence, mais surtout par ce qu’elles n’apportent pas à la non-violence. Cela implique qu’il n’est pas suffisant que les religions ne justifient plus la violence ; il est nécessaire qu’elles n’ignorent plus la non-violence.
Même lorsqu’elles ont prêché l’amour, les religions n’ont pas osé affirmer la contradiction irréductible, l’incompatibilité essentielle, l’antagonisme absolu, l’antinomie radicale entre l’amour et la violence. Elles ont encore laissé croire aux hommes qu’il était possible de conjuguer ensemble l’amour et la violence dans une même rhétorique. Voilà l’erreur capitale. Car, dans cette rhétorique, le principe de non-violence se dissout. La transcendance de l’homme, c’est de craindre davantage le meurtre que la mort.

Les doctrines religieuses justifient le meurtre

De nombreuses voix se sont élevées pour prétendre haut et fort que « l’islamisme n’avait rien à voir avec l’islam ». Il importe certes de refuser tout « amalgame », de fermer la porte à la stigmatisation des musulmans qui seraient tous co-responsables de l’islamisme et de ses dérives criminelles. L’islamophobie doit être récusée et condamnée sans aucune concession. Cependant, on ne saurait nier la possibilité pour les islamistes de recourir à la caution de nombreux versets coraniques pour faire prévaloir, au-delà des compromissions de l’histoire, leur conception intégriste de l’islam. En toute rigueur, le droit musulman prescrit la plus extrême sévérité à l’encontre de ceux qui critiquent le prophète. La loi islamique n’exclut nullement le meurtre des blasphémateurs. Mahomet lui-même n’hésita pas à faire assassiner des dissidents qui avaient défié son autorité. Les islamistes peuvent prétendre qu’ils sont des orthodoxes conséquents, radicaux et donc intransigeants. Entre l’islam traditionnel et l’islamisme des intégristes, il existe des passerelles dès lors que le texte coranique permet la lecture fondamentaliste qu’en font les islamistes.
Aussitôt qu’une telle critique de l’islam est amorcée, il est affirmé qu’il en est ainsi de toute religion. En toute hypothèse, cette affirmation est une confirmation et non pas une infirmation. Sans aucun doute, l’analyse qui vient d’être faite du Coran vaut également pour la Bible dont de nombreux versets justifient la violence. Les compromissions du judaïsme et du christianisme avec la violence ont beaucoup varié au cours de l’histoire selon le temps et le lieu. Pour sa part, Jésus a récusé la loi du talion, il a demandé à ses amis de remettre leur épée au fourreau et de ne pas résister au mal en imitant le méchant. Pour autant, cela n’a pas empêché l’Inquisition d’être catholique avant de devenir musulmane et les guerres chrétiennes du XVIème siècle – « pensons à la nuit de la Saint Barthélemy » – n’ont rien à envier aux guerres musulmanes d’aujourd’hui.

Nécessité ne vaut pas légitimité

Certes, nous savons que la non-violence absolue est impossible en ce monde. L’homme peut se retrouver prisonnier de la dure loi de la nécessité qui l’oblige à recourir à la violence. Mais, même lorsque la violence apparaît nécessaire, l’exigence de non-violence demeure ; la nécessité de la violence ne supprime pas l’obligation de non-violence. Nécessité ne vaut pas légitimité. Justifier la violence sous le prétexte de la nécessité, c’est rendre la violence sûrement nécessaire et enfermer l’à-venir dans la nécessité de la violence.
En pactisant avec le meurtre, les religions n’ont pas commis des fautes, elles ont commis des erreurs, des erreurs de doctrine, des erreurs de pensée qui sont autant d’erreurs contre l’esprit. Aujourd’hui comme hier, c’est un impératif moral catégorique que les religions décident de rompre une fois pour toutes avec leurs doctrines de la légitime violence et du meurtre juste et optent résolument pour la non-violence. Pour une part décisive, l’à-venir de l’humanité dépend de cette décision des religions.
L’espoir, c’est que l’extrémisme de la violence commise en France mais aussi en de nombreux pays dans le monde au nom de la religion obligera les responsables religieux à opérer cette rupture.

Combattre l’antisémitisme

Le meurtre de quatre français de religion juive le 8 janvier Porte de Vincennes dans un supermarché Hyper Casher vient donner un surcroît de tragédie au drame de la mort des journalistes de Charlie Hebdo. Là encore, il importe de condamner absolument tout relent d’antisémitisme. Mais il faut reconnaître que, pour une part, l’origine de l’antisémitisme provient de la politique de l’État d’Israël menée au nom d’un judaïsme radical. Le risque est réel que la condamnation du racisme antisémite laisse entendre une justification de la politique du gouvernement israélien. De ce point de vue, la présence du chef du gouvernement israélien à la manifestation du 11 janvier n’a pas été sans ambiguïté. Qui pourrait prétendre que les droits des Palestiniens sont respectés par l’État d’Israël ?

La France est en guerre

« La France est en guerre contre le terrorisme » a déclaré le Premier Ministre, Manuel Valls, le 13 janvier à l’Assemblée Nationale. Certes, les menaces « terroristes » qui pèsent sur la France sont bien réelles, mais il serait illusoire de croire que seules des mesures sécuritaires, c’est-à-dire policières et militaires, pourront les circonscrire et les éliminer.
Ne parler que d’horreur, de barbarie, de monstruosité risque fort de nous égarer en nous conduisant à occulter le caractère politique de ces actes. Pour comprendre le terrorisme, il ne suffit pas de brandir son immoralité intrinsèque. Dès lors que la dimension politique du terrorisme sera reconnue, il deviendra possible de rechercher la solution politique qu’il exige. La manière la plus efficace pour combattre le terrorisme est de priver leurs auteurs des raisons politiques et économiques qu’ils invoquent pour le justifier. C’est ainsi qu’il sera possible d’affaiblir durablement l’assise populaire dont le terrorisme a le plus grand besoin. Souvent, le terrorisme s’enracine dans un terreau fertilisé par l’injustice, l’humiliation, la frustration, la misère et le désespoir. La seule manière de faire cesser les actes terroristes est de priver leurs auteurs des raisons politiques invoquées pour le justifier. Dès lors, pour vaincre le terrorisme, ce n’est pas tant la guerre qu’il faut faire, que la justice qu’il faut construire. Ici et là-bas.
Une dernière réflexion qui apparaîtra peut-être encore incorrecte ; la tragédie de Charlie Hebdo n’a pas fait 17 mais 20 victimes. Les trois tueurs, jeunes Français nés en France mais dont la vie était en déshérence, sont aussi des victimes du terrorisme. Quelle que soit l’horreur criminelle de leurs actes, ils sont aussi des hommes. Au-delà de la mort, il nous appartient de leur restituer leur humanité. Il nous sera alors possible de prendre le deuil de ces trois hommes dans le respect de leur personne.

Jean-Marie MULLER
* Philosophe et écrivain.
Auteur notamment de Désarmer les dieux, Le christianisme et l’islam au regard de l’exigence de non-violence, Le Relié Poche, 2010.
Membre-fondateur du Mouvement pour une Alternative Non-violence (MAN)
Lauréat 2013 du Prix international de la fondation indienne Jmanalal Bajaj pour la promotion des valeurs gandhiennes.
www.jean-marie-muller.fr

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La non-violence est la loi de l’espèce humaine comme la violence est celle de la brute. (…) La dignité de l’homme exige de lui l’obéissance à une loi supérieure, à la force de l’esprit.
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