13 novembre 2015. L’horreur des attentats de Paris s’impose à nous. Nous ne pouvons que nous joindre à la douleur de toutes les victimes et de leurs proches. Nous ne pouvons que porter le deuil de toute cette violence.
Au-delà de la stupeur, souhaitée par les auteurs de ces attaques, la réflexion s’impose. A l’effet de sidération et aux réflexes de vengeance et de stigmatisation d’un ennemi, nous devons substituer le travail de l’intelligence et l’impératif de bonté : c’est peut-être le meilleur hommage que nous pouvons rendre aux victimes.
Notre vulnérabilité partagée
C’est avec atrocité que la réalité de la guerre nous rejoint aujourd’hui et vient nous affecter directement sur le territoire de notre quotidien, de nos existences.
Ces attaques viennent d’une manière terrible nous rendre à notre vulnérabilité partagée avec le reste de l’humanité. Cette vulnérabilité retrouvée doit nous faire crier haut et fort que nulle part la guerre n’est humaine, n’est tolérable, que partout la guerre est une tragédie sans nom, et que notre devoir est de mettre en œuvre tous les moyens de la faire cesser, partout, aussi nobles qu’en soient les motifs.
Nous ne pouvons pas ignorer qu’aujourd’hui, l’immense majorité des victimes des guerres dans le monde, y compris celles de la France, sont des civils, à l’exemple des victimes des attentats parisiens. Depuis des décennies, la France mène de nombreuses guerres sur des « terrains d’intervention extérieurs », sur les territoires de sociétés étrangères, d’existences qui nous sont lointaines. Nous étions habitués à être en guerre, sans être affectés la dévastation que cela entraîne à tous les niveaux.
Nous ne pouvons ignorer non plus que la France est devenue, en 2015, le deuxième exportateur d’armes au monde, derrières les Etats-Unis et devant la Russie. Une « performance exceptionnelle » qui signifie que nous prospérons sur la vente d’engins de mort qui, nous le savons, serviront à mutiler atrocement des civils et à réaliser des carnages semblables à ceux de Paris, dans de nombreuses sociétés éloignées géographiquement de la France. Nous ne pouvons pas à la fois proclamer notre légitime indignation devant l’horreur des attentats de Paris, et nous réjouir d’exporter dans le monde entier les armes qui produiront de mêmes situations, hors de notre regard.
Nous ne pouvons ignorer enfin que, par son programme nucléaire militaire, la France consacre plusieurs milliards d’euros par an à préparer les conditions d’envoi sur des populations civiles de bombes atomiques qui frapperaient sans discrimination des centaines de milliers de vies avec une horreur sans nom. Et si cet argent était dépensé pour assurer un meilleur avenir aux jeunes qui vivent des difficultés à s’insérer dans la vie économique et sociale, dans les quartiers populaires en particulier ?
S’il y a une leçon que nous pouvons tirer de cet immense effroi qui nous a submergé le 13 novembre et les jours suivants, c’est que nous devons ouvrir les yeux sans partage sur la souffrance des victimes de toutes les guerres, universellement, et faire ce qui est en notre pouvoir pour les faire cesser en développant les alternatives au militarisme et à la violence.
Ouvrons nos cœurs et laissons une même émotion nous étreindre, pour toutes les victimes de violences militaires et politiques, en France et partout ailleurs.
Toute violence est injustifiable
Nous avons le devoir de comprendre, d’analyser et d’évaluer notre part de responsabilité dans la généalogie de la violence qui nous frappe. Non pas pour la justifier. Mais pour éviter le piège de la victimisation, la tentation de « l’innocence blessée » et son corollaire la vengeance.
Nous avons le devoir de nous responsabiliser en premier lieu pour les violences dont nous sommes responsables, nous peuple français. Non pas pour justifier ou minimiser celle des autres. Mais au contraire, pour affirmer le caractère injustifiable des attentats de Paris comme de toute violence, quelles que soient les personnes qu’elle touche, quels que soient les lieux où elle se déroule. Car la violence est une négation de l’humanité, à la fois de ceux qui la subissent et de ceux qui la perpètrent.
La France au garde-à-vous ?
Suite aux attentats de Paris du 13 novembre, nous avons le choix entre deux options : soit rentrer dans la spirale destructrice de la violence, pour exterminer l’ennemi qui nous a blessés. Soit tout faire pour œuvrer à sortir de la violence.
Malheureusement, le président français François Hollande semble être tombé dans le piège tendu par les auteurs des attentats de Paris en employant, immédiatement après, une rhétorique guerrière, à l’instar de Georges Bush suite aux attentats du 11 septembre 2001. Deux jours après les attentats, les bombes de l’aviation française venaient mettre en pratique ce discours de guerre en redoublant de fréquence en Syrie, comme s’il fallait prouver dans la précipitation que notre capacité de destruction dépassait celle de ceux qui nous ont frappé sur notre territoire. Les bombardements français en Syrie, par essence, ne sont pas précis, et détruisent de manière approximative des « cibles » adverses et des populations civiles qui doivent faire face à la mort, à la souffrance sans nom et à la destruction de leurs existences. « Vous êtes tombé dans le panneau à pieds joints, parce que vous avez fait mot pour mot ce que les terroristes espéraient de vous : une déclaration de guerre. Vous avez accepté leur invitation au djihad avec enthousiasme », déplore l’historien David Van Reybrouck en s’adressant au président français. (1)
Dès les heures qui ont suivi les attentats, l’état d’urgence a été décrété en France. Cette mesure exceptionnelle née durant la guerre d’Algérie fait peser une menace importante sur les libertés et les droits démocratiques. On assiste là encore à un réflexe sécuritaire et à une militarisation similaires à ce qui a suivi les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis.
Etre ensemble, c’est ça l’urgence !
On peut saluer, face à cela, l’initiative d’individus qui se sont rassemblés malgré l’interdiction de le faire, au motif que « se retrouver, se parler, être ensemble c’est ça l’urgence ! ». Comme eux, nous pouvons faire des gestes pour être plus que jamais « unis, fraternels et solidaires face à la terreur et à son instrumentalisation ». L’attaque qu’a subie la France ne doit pas nous mener sur les sentiers de la guerre, elle ne doit pas être le motif de davantage de dévastation. La plus belle réponse que nous pourrons y apporter, c’est de développer tous les moyens possibles offerts par la non-violence pour lutter contre le terrorisme, contre les guerres et contre les injustices et les intérêts iniques qui en sont les causes. Et, plus largement, c’est d’œuvre pour plus de liberté, plus de justice, et plus de démocratie.
Guillaume Gamblin
Source : http://nonviolence.fr/spip.php?article1045